Adam et Ève mangeaient-ils des animaux ? Histoire d’une controverse : épisode • 4/4 du podcast À poils, à plumes, histoires d’animaux

"Le Jardin d'Eden", Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), 1530, Dresde (Allemagne) ©Getty - Fine Art
"Le Jardin d'Eden", Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), 1530, Dresde (Allemagne) ©Getty - Fine Art
"Le Jardin d'Eden", Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), 1530, Dresde (Allemagne) ©Getty - Fine Art
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Dans l’Europe du XVIIe siècle, exégètes, médecins, botanistes et philosophes engagent une controverse épineuse : la Genèse proscrit-elle la consommation de viande ? Adam et Ève étaient-ils végétariens ?

Avec
  • Olivier Christin Historien, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études

Au début de l’aventure, ça s’active en cuisine : "Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon".
Les clients arrivent, puis Dieu dit : "Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance ! Qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre".
Voici le menu : "L'Éternel Dieu donna cet ordre à l’homme : Tu pourras manger les fruits de tous les arbres du jardin". À la carte, il y a des restrictions : "Tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras, c’est certain".
De toutes les herbes, graines et fruits, devinez ce que les clients ont commandé…

Religion et nourriture, des liens étroits

De la multiplication des pains aux Noces de Cana, la nourriture et la boisson occupent une place centrale dans les Écritures. Ces épisodes ont une valeur prescriptive : il s'agit de souligner la clémence de Dieu à l’égard des hommes, de rapprocher les nourritures du corps et celles de l’âme, mais surtout de définir la manière la plus pieuse de se sustenter et au contraire d’indiquer les aliments proscrits. Cependant, pour Olivier Christin, si la Bible parle énormément de nourriture, "des banquets fastueux à la multiplication des pains en passant par la pêche miraculeuse, (...) au fond, il n'y a pas tant de passages qui prescrivent ce que l'homme doit et peut manger". L'historien poursuit : "C'est seulement après l'épisode de l'Arche de Noé que Dieu autorise l'homme à tuer les animaux ainsi qu'à les manger".

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Manger des animaux, péché mortel ?

Seulement, certaines prescriptions peuvent sembler contradictoires, notamment en ce qui concerne la viande : Adam et Ève sont-ils végétariens ? La consommation de viande est-elle une conséquence de la Chute ? La viande, comme l’alcool, est-elle un signe de débauche et d’excès ? Ces questions occupent les théologiens depuis l’Antiquité, mais sont surtout relancées au moment des guerres de Religion. L’Église protestante rejette en effet les règles strictes du jeûne instaurées au cours des siècles par l’Église romaine, réfutant la distinction des nourritures maigres et grasses et par conséquent l’interdiction de consommation de viande, de beurre et de fromage lors du Carême.

Le Nouveau Testament contribue à structurer les identités religieuses entre le christianisme, l'islam et le judaïsme, puis plus tard, entre les différentes confessions du christianisme, entre catholiques et protestants, et ce, grâce à de nouvelles règles alimentaires.

Affaire en cours
6 min

L'alimentation, une nouvelle préoccupation théologique

Cependant, au XVIIe siècle, cette controverse cesse d’être uniquement l’affaire des théologiens. Adam et Ève ne sont désormais plus considérés comme des allégories mais comme des personnages historiques et les médecins, philosophes, hommes politiques et scientifiques venus de l’Europe entière s’affrontent sur la question du régime alimentaire en vigueur dans l’Éden. Il s'agit pour la société d'enjeux réels, quotidiens, et parfaitement concrets. Olivier Christin raconte : "C'est une période d'éclatement confessionnel, avec la fin de l'unité religieuse en Europe, et la question de la consommation ou non de la viande en période de jeûne et en période de Carême devient un marqueur confessionnel entre catholiques et protestants. À tel point que, par exemple, pour découvrir des protestants cachés, on regarde s'ils mangent ou non de la viande en période de Carême ou le vendredi. Ça permet de les identifier tout de suite".

En prenant de l’ampleur, la querelle témoigne des mutations profondes qui transfigurent les élites savantes européennes. Les disciplines s’imbriquent, les idées circulent à une échelle internationale, les journaux et gazettes occupent une place centrale et les débats religieux sont mis au service d’enjeux concrets, du fonctionnement de la digestion aux préoccupations nutritionnelles et écologiques.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

Le Pourquoi du comment : histoire

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Pour en parler

Olivier Christin est spécialiste de l’Époque moderne et des questions religieuses, et directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études. 
Il a notamment publié :

Références sonores

  • Archive à propos de l'Archange Gabriel, La Vie privée d'Adam et Ève, RTF, 21 mars 1956
  • Émission radio sur les nourritures bibliques, De bouche à oreille, 28 janvier 2001
  • Interview de Michel Pastoureau sur les hommes et les cochons, Les chemins de la connaissance, 4 avril 1995
  • Pièce de théâtre Le cantique des cantiques, 1er août 1961
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

L'équipe