Sale temps pour les chiens, canicide dans la ville : épisode • 3/4 du podcast À poils, à plumes, histoires d’animaux

Scène de rue montrant des chiens errants à Constantinople (Istanbul), 1902 ©Getty - Chris Hellier
Scène de rue montrant des chiens errants à Constantinople (Istanbul), 1902 ©Getty - Chris Hellier
Scène de rue montrant des chiens errants à Constantinople (Istanbul), 1902 ©Getty - Chris Hellier
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Mexico à la fin du XVIIIe siècle, Madrid en 1832, Paris en 1878 et en 1892, Istanbul en 1910… Les grandes tueries de chiens se multiplient au cours du XIXe siècle. Quel sens donner à ces tueries, et que disent ces massacres des relations entre les humains et les animaux ?

Avec
  • Arnaud Exbalin Maître de conférences à l'Université Paris-Nanterre, spécialiste du Mexique
  • Nicolas Baron Docteur en histoire contemporaine, chargé de cours à l'Université de Bretagne Occidentale
  • Valérie Hannin Directrice de la rédaction du magazine L'Histoire

Au cœur des années 1950, Line Renaud chantonne un petit air canin : "Combien pour ce chien dans la vitrine ? Ce joli p'tit chien jaune et blanc. Combien pour ce chien dans la vitrine ? Qui penche la tête en frétillant". Il est certain que le destin de ce chien, peut-être dans une cabane au Canada, est enviable à celui des centaines de milliers de chiens errants massacrés au fil du temps.

Le chien, meilleur ami de l'homme ?

Des centaines de milliers de chiens sont éliminées tout au long du XIXe siècle, avec parfois des années plus meurtrières comme en 1892 à Paris, où près de 27 000 chiens sont tués en un an. Comment expliquer ces canicides ?

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Aux XVIIIe et XIXe siècles, le chien occupe une place intermédiaire entre l’état sauvage et l'état domestique. Les chiens errants sont très nombreux et les pouvoirs publics mettent en place des politiques qui visent à contrôler la population canine. C’est le cas en France avec la taxe sur les chiens de 1855, qui se double d’une obligation de déclaration. Une telle mesure permet de distinguer les chiens errants, qui n’ont pas droit de cité, des chiens dont le maître acquitte l’impôt, et qui sont ainsi identifiés et surveillés. Pour l’historien Nicolas Baron, il y a au XIXe siècle la volonté très nette de constituer une population canine qui soit parfaitement sous le contrôle des hommes. En opposition à cette population canine identifiée, il en existe une autre qu’il faut éliminer, celle des chiens errants : "La politique française au XIXe siècle va être de marquer ces deux populations canines. Et pour cela, il faut matérialiser l’appartenance d’un chien. Cette identification passe par le port d’un collier ou l’utilisation d’une plaque nominative. Grâce à cela, Napoléon III retrouve son chien Nero, enfui du palais royal en 1865, et qui est retrouvé puis identifié grâce à sa plaque."

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Faire place nette : cacher ce chien que je ne saurais voir…

L’émergence des canicides entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle s’explique sans doute aussi par l’apparition d’un idéal urbain hérité des Lumières : une ville moderne, propre, organisée, fondée sur un idéal hygiéniste. Les animaux semi-sauvages comme les chiens errants font désordre dans cette ville ordonnée. Ils sont bruyants, sales, défèquent dans la rue, sont sujets à des périodes de rut et de chaleur, manifestent une agressivité débordante qui peut s’exprimer par des combats, mais aussi par des attaques contre les humains… Les hommes des Lumières inventent une nouvelle manière de gouverner la ville, qui passe par un contrôle accru du vivant par les autorités. L’existence de canicides implique ainsi celle d’une police moderne et sophistiquée.

La fourrière est une institution importante du XIXe siècle, qui met en place une méthode industrielle de capture des chiens errants ou divagants. Les agents de la fourrière pourchassent les chiens dans les rues, les attrapent et les enferment. Les animaux capturés sont ensuite rachetés par leur propriétaire, à condition que celui-ci les retrouve ; sinon, ils sont vendus à des particuliers, à des laboratoires ou à des universités, ou bien mis à mort. L’historien Arnaud Exbalin décrit l’existence à Mexico de chambres à gaz pour chiens dans les fourrières à la fin du XIXe siècle : "Ces dernières sont scindées en deux ; une première partie est consacrée à l’accueil des animaux trouvés sur la voie publique, une seconde appelée département d’hygiène où l’on trouve tout le matériel nécessaire à la dissection des peaux de chiens. Accolés à ces deux espaces, une chambre à gaz et un four crématoire. Inventées en Angleterre dans les années 1870 et promues en France par la SPA, ces chambres à gaz existent encore aujourd’hui."

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Organisation meurtrière et politique de canicide

Les raisons d’exterminer les chiens ne manquent pas et l'excuse sanitaire est régulièrement utilisée : les chiens sont tués car ils transmettent la rage, maladie qui cause une mort particulièrement spectaculaire. Des massacres sans distinction sont organisés par les pouvoirs publics quand le nombre d’animaux et d’humains décédés de la rage augmente. À force de canicides et de contrôles des chiens, la rage décline, voire disparaît au milieu du XXe siècle en France.

Cette politique de canicide sur le temps long a pour conséquence l’apparition d’une population de chiens parfaitement soumise au contrôle des hommes, qui parachève la lente domestication du chien, probablement initiée à la préhistoire. Le chien de compagnie contemporain, docile, bichonné, qui porte un nom, dispose d’un panier, d’un collier, d’une laisse, et reçoit chaque jour de la nourriture, des soins et des caresses, est ainsi le produit et l'héritage de la violence qui a été déployée contre ses congénères au XIXe siècle.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

Le Pourquoi du comment : histoire

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Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

En fin d'émission

Valérie Hannin, directrice de la rédaction du magazine L'Histoire, présente le numéro d'avril intitulé Iran. Comment les islamistes ont pris le pouvoir.

Pour en parler

Arnaud Exbalin est maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre, spécialiste du Mexique colonial.
Il a notamment publié :

Nicolas Baron est docteur en histoire contemporaine, chargé de cours à l'Université de Bretagne Occidentale et spécialiste de l'histoire des animaux et des relations hommes-animaux.
Il a notamment publié :

Références sonores

  • Archive de Claude Piéplu, Bestiaire d'humour : 2ème émission, ORTF, 1er novembre 1973
  • Chanson Chihuahua par Luis Oliveira, 1955
  • Lecture par Alexandre Manzanares du poème Le Chien perdu, François Coppée, 1870
  • Livre disque les 101 Dalmatiens racontés par Francis Perrin, 1969
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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